Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 13:13

Vu à la télé, le premier juillet 2015 (infos de 13 h sur France 2)

(Informer : apprendre au plus grand nombre de personnes possible ce qu’elles ignorent ; les éclairer sur des sujets qui leurs sont inaccessibles ; honneur de la profession de journaliste, fourmi infatigable qui traque les secrets les mieux cachés ou risque sa vie sur les zones de guerre)

Donc, informons. L’info du jour, c’est la chaleur. Pas une petite chaleur, une grosse chaleur. D’accord, on est en été, et l’été il fait chaud ; mais quand même, là c’est vraiment de la grosse, grosse chaleur. On peut informer sur la chaleur. Parler du comment (astronomie, avec la course de la Terre autour du Soleil ; géographie physique, avec le climat océanique et le climat continental) et du pourquoi (climatologie, et la question cruciale : l’activité humaine modifie-t-elle le climat par l’intermédiaire d’un effet de serre artificiel ?). Mais non. Comment la chaleur, pourquoi la chaleur, ça pourrait être dur à comprendre ; surtout quand il fait chaud. L’axe choisi serait plutôt du style : « la chaleur c’est chaud ».

Un petit reportage avec des vrais gens qui ont chaud. Pas les faignants qui restent à l’ombre, mais un facteur qui pédale au soleil. Comment fait-il avec une chaleur pareille ? Et là, comme dit l’autre, « les bras et les jambes m’en sont tombés ! ». Il boit de l’eau ! Pas grand monde n’y aurait pensé, d’où la valeur de cette information. Et quand son eau devient trop chaude, il se rafraîchit avec un brumisateur. Grâce au service public, la prochaine canicule peut se pointer, nous saurons quoi faire. A se demander comment nos grands-parents ont survécu sans la télé alors qu’ils devaient travailler dans les champs en plein été (manque de bol, les moissons, c’est l’été, quand il fait chaud justement ; et ils n’avaient même pas de tracteur climatisé)

Après s’être chauffés (sans jeu de mots) avec le facteur, passons au reporter sur le terrain. Là, chapeau bas, Antenne 2 réussit un mix du correspondant de guerre qui s’expose en première ligne et du journaliste scientifique qui décortique une expérience plutôt pointue. L’envoyée spéciale, dans un bol, en plein soleil, devant les caméras, elle met un glaçon ! Et jamais vous ne devinerez ! Le glaçon, il fond ! Et il fond même super vite ! Preuve indubitable qu’il fait vraiment chaud (donc c’est vrai, la chaleur c’est chaud)

Bouche bée devant cette révélation, j’encaisse un troisième choc : reportage sur les personnes âgées isolées. Vieux, c’est dur, vieux et isolé, c’est pire, mais vieux et isolé quand il fait chaud, je ne vous dit pas l’horreur !

Après 15 mn (la moitié du JT) de scoops qui s’enchaînent à un rythme effréné, France 2 me laisse reprendre mes esprits avec une rapide évocation de la crise grecque. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout de la crise grecque ! Repassez-moi plutôt une journaliste qui regarde un glaçon en train de fondre ou un facteur en short qui se mouille au brumisateur ! D’ailleurs, ils ne disent même pas s’il fait plus chaud en Grèce que chez nous (ça, à la limite, ça aurait pu être intéressant)

Heureusement, les Grecs sont vite abandonnés à leur marasme pour revenir à des choses fondamentales, comme l’affichage obligatoire de la liste des produits allergènes dans les boulangeries et l’interdiction de l’oreillette au volant. Mais quand même, je regrette la première partie du JT, ça t’avait une autre force ! C’est l’été, il fait chaud, aucun risque de verglas sur les routes parce que, tenez-vous bien, la glace fond (côté positif) mais les vieux en souffrent de cette chaleur, d’ailleurs tout le monde en souffre (côté négatif) et on se sent mieux quand on boit un coup.

J’espère qu’on reverra le facteur cet hiver, qui nous dira qu’il met un bonnet à cause du froid, et le grand reporter de guerre, au même endroit, avec son glaçon qui n’arrive pas à fondre, et les vieux isolés qui continuent à souffrir, mais cette fois-ci parce qu’ils se les gèlent. L’info, la grande info, dans sa dimension pratique, scientifique et émotionnelle.

La conclusion, c’est le service public qui me l’a offerte. Pas la télé, la radio. Emission historique sur les bâtisseurs de cathédrales au Moyen-Age (heureusement, le service public ce n’est pas que les deux JT de la journée). Avec cette phrase : « Ils voulaient de grandes baies afin que la lumière éclaire le peuple ». Une chose est sûre, ce n’est pas à travers cette étrange lucarne qu’est la télévision que la lumière risque de passer pour nous éclairer. De toute façon, quand il fait chaud, on est mieux à l’ombre.

Partager cet article
Repost0
22 mai 2015 5 22 /05 /mai /2015 13:17

La réforme scolaire du gouvernement Valls a fait couler beaucoup d’encre. Entre attaques venues de toutes les directions et boucliers brandis par la garde présidentielle, il est parfois difficile de démêler la réalité de la caricature ou du mensonge.

Une chose est sûre : les classes « d’élite », classes européennes et filière bilangue, vont disparaître. Les moyens seront largement dilués pour que tous nos chers bambins butinent un peu plus tôt quelques mots d’allemand. Au nom du principe censément de gauche que l’élite c’est mal et que tout le monde doit aboutir à l’excellence (ou plutôt à mon avis, avec cette réforme, personne, mais l’important c’est l’égalité, fût-elle l’égalité dans la médiocrité)

Premier effet à prévoir : le non-respect des engagements pris avec l’Allemagne. Dans un but tout à fait louable de rapprocher des peuples qui n’ont cessé de se faire la guerre, chacune des deux nations s’était engagée à respecter un quota d’enfants apprenant la langue du pays voisin et autrefois ennemi. Les Allemands, qui usent de toutes sortes de moyens pour obliger leurs élèves à apprendre le français, ne voient guère la réforme qui se profile chez nous d’un bon œil. A juste raison. Pour un avenir « main dans la main », il faut suffisamment d’Allemands qui parlent français, et de Français qui parlent allemand. Pas une masse d’individus qui baragouinent trois mots. J’ai fait allemand deuxième langue (démarrage en 4ème), du coup mon niveau dans la langue de Goethe est celui de « Papy fait de la résistance ». Mon fils a suivi une filière bilangue (puis Abibac), il est bilingue et fait des études supérieures en Allemagne. Ma fille aînée, issue d’une classe européenne, travaille à Berlin. Il serait catastrophique que les étudiants, finalement assez nombreux, qui suivent ce genre de cursus et deviennent de vrais germanophones, disparaissent complètement à la suite de cette réforme.

Deuxième effet à prévoir : la fin d’un système qui permettait, sans le dire, de constituer des classes de niveau ; la disparition de cet « élitisme » odieux aux yeux de notre ministre de l’Education nationale. Il est étonnant de constater à quel point nul ne s’offusque jamais de constater que certains individus sont rapides à la course et d’autres lents, que certains possèdent une belle voix et d’autres chantent comme des casseroles, mais qu’il semble scandaleux que les aptitudes scolaires ne soient pas les mêmes pour tous. Cela dit, l’entraînement permet à n’importe qui de courir plus vite, sans devenir Usain Bolt, ou de chanter mieux, sans devenir Pavarotti. Alors, pourquoi, au nom du sacro-saint principe d’égalité qui anime notre gouvernement, ne pas fermer l’INSEP et affecter tous ceux qui y travaillent dans des classes d’EPS sur l’ensemble du territoire ? Certes, nos sportifs brilleraient moins dans les compétitions internationales, mais combien d’enfants patauds seraient « tirés vers le haut » en terme de capacités physiques ? Le plus désespérant dans cette volonté réformatrice de notre gouvernement, c’est qu’il imagine rendre service aux moins doués sur le plan scolaire. Comme si permettre à un élève en difficulté de commencer une troisième langue plus tôt allait lui venir en aide, alors qu’il peine à maîtriser une seule langue. Il me semble qu’un enseignement juste, un enseignement qui donne de vrais chances à tous, devrait être un enseignement « à la carte ». Trois langues pour ceux qui sont en mesure d’assimiler trois langues, et un enseignement renforcé du français pour ceux qui sont en retard. C’est seulement dans ces conditions que les plus en difficulté pourraient raccrocher.

Troisième effet à prévoir : la fuite des meilleurs élèves vers un système privé (du moins ceux dont les parents possèdent suffisamment de moyens financiers). Il est un fait incontournable dans cette affaire : les parents souhaiteront toujours la meilleure formation possible pour leurs enfants. S’ils ne peuvent plus l’obtenir dans l’enseignement public, ils la trouveront ailleurs. Réponse de Najat Vallaud-Belkacem, sur une radio, à une mère d’élève qui évoquait le sujet : « Je vous comprends, je réagirais probablement comme vous de manière individuelle, mais je suis en charge de la collectivité, et je dois agir pour le bien commun ». Sauf que le bien commun n’est jamais autre chose que l’addition de cas individuels. Tant qu’il existait un moyen, dans l’enseignement public, d’accéder à un enseignement d’élite par le biais de classes bi-langues ou de filières européennes, les parents d’élèves capables de suivre ce type d’enseignement l’utilisaient. Désormais, ils prendront une autre voie. Et c’est là que se situe la conséquence la plus dramatique, la plus désolante de cette réforme : les riches prendront une autre voie. L’obsession de faire disparaître l’élite basée sur les capacités et le mérite fera naître une élite basée sur les moyens financiers ; à l’anglo-saxonne. On ignore souvent les raisons qui ont conduit à la création de l’Ecole Polytechnique, pépinière de surdoués et de bourreaux de travail payés par la collectivité pour faire leurs études. Ce système instaurait les Maths comme critère premier de sélection, parce que les Maths ne favorisent pas les élèves issus de milieux aisés (contrairement au français, au latin, au grec, que des enfants ayant grandi dans un milieu de culture maîtrisaient forcément mieux). C’était ça, le grand rêve républicain. Qu’une élite puisse naître, indépendamment de l’origine sociale. Il y a beaucoup à dire sur une méthode qui ne jurait que par les Maths au détriment du reste, mais au moins l’idée était de permettre aux élèves doués et travailleurs d’accéder aux plus hautes fonctions, grâce à leur mérite, quelle que soit leur origine ; la fameuse « méritocratie républicaine ». Le fondement de cette idée, c’est qu’il existe une élite intellectuelle, et qu’elle doit provenir de l’ensemble du corps social. Il existait d’autres systèmes, moins prestigieux mais ô combien utiles, comme l’Ecole Normale, où des gamins de 15 ans devenaient boursiers s’ils étaient capables d’y entrer, prodigieux ascenseur social depuis longtemps détruit.

Ainsi, un gouvernement de gauche va nous conduire vers une société où le libéralisme économique pourra s’insinuer jusqu’au cœur. En refusant le fait que tous les élèves ne possèdent pas les mêmes dispositions aux études, ni la même volonté de faire des études, elle va réussir à créer le rêve de la droite la plus ultra-libérale, une société où seuls les plus riches auront accès à ce que l’enseignement peut offrir de mieux. Mais sans doute ce mouvement est-il amorcé depuis longtemps déjà. On voit des pubs d’Acadomia à la télévision, signe que ce système qui dispense des cours privés à qui peut se les offrir est florissant. Et des destins comme celui de mon père, fils de chauffeur de bus, qui ne parlait pas français en entrant à l’école (mais seulement patois), qui a réussi à s’en sortir grâce à l’Ecole Normale (dès qu’il a eu 15 ans ses parents ne pouvaient plus verser un sou pour lui) et aller jusqu’à réussir l’agrégation, de pareils destins n’existeront plus. Nous aurons atteint l’enfer scolaire d’où seul l’argent peut vous extirper, grâce à une voie pavée des bonnes intentions socialistes.

Partager cet article
Repost0
3 mai 2015 7 03 /05 /mai /2015 20:32

Kurt Meyer, Brigadefüher SS, condamné à la prison à vie après la Seconde Guerre Mondiale (crimes de guerre, exécution de soldats alliés prisonniers) ; libéré en 1954.

Herta Oberheuser, infirmière tueuse en série de femmes déportées au camp de Ravensbrück (à coup d’intraveineuses d’essence) ; participe à d’effroyables « expériences médicales » sur des cobayes humains ; condamnée au procès de Nuremberg à 20 ans de prison ; libérée en 1952 ; interdite d’exercer la profession d’infirmière en 1958, obtient la révocation de cette décision par la justice allemande en 1961.

Joachim Peiper, Standartenführer SS, condamné à vie après la Seconde Guerre Mondiale (atrocités diverses, exécution sommaire de 84 prisonniers de guerre américains) ; libéré après 11 ans de détention.

Aribert Heim, « le boucher de Mauthausen » ; responsable de la mort d’au moins 240 déportés victimes de ses ignobles « opérations »qui consistaient à tester la résistance d’êtres humains à une douleur indicible ou à l’ablation d’organes vitaux ; exerce la profession de gynécologue à Baden-Baden jusqu’en 1962 avant que la justice ne s’intéresse à lui (lenteur qui lui permet de s’enfuir à l’étranger et de rester libre jusqu’à sa mort).

Heinz Lammerding, Gruppenführer SS, responsable des massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane ; condamné à mort par contumace en France, il n’est jamais extradé par la justice allemande, et travaille comme ingénieur à Düsseldorf jusqu’à sa mort.

Wilhelm Beiglböck, responsable d’une « étude » sur les effets de la déshydratation entraînant la mort de cobayes humains au camp de Dachau ; après quelques années de prison, devient médecin chef à l’hôpital de Buxtehude en 1952.

Les exemples pourraient être multipliés par cent, par mille ; exemples de criminels nazis qui ont paisiblement terminé leur vie, non parce qu’ils s’étaient enfuis (à l’instar de Josef Mengele), mais parce que la justice allemande s’est montré envers eux d’une grande mansuétude. Elle estimait sans doute qu’à un moment la page devait être tournée, et les comptes de l’horreur nazie soldés, faute de quoi la société allemande ne pourrait jamais trouver la paix. Soit.

Il paraît donc surprenant qu’un vieillard de 93 ans, Oskar Gröning, comparaisse devant cette justice autrefois si laxiste pour « complicité de 300 000 meurtres aggravés ». Chargé de compter les billets trouvés dans les poches des déportés exterminés, Gröning n’avait rien à voir avec les brutes et les sadiques cités précédemment. Si on n’est pas obligé de le croire sur parole lorsqu’il déclare « n’avoir jamais donné une simple gifle à quiconque », il n’en reste pas moins que Gröning n’est pas accusé de violences mais simplement d’avoir été un « rouage » de la machine de mort nazie, ce qui serait en soi un crime.

Quel est le sens de ce procès ? Est-il ouvert parce qu’un dernier nazi tient encore (difficilement) debout, et qu’après lui on n’en trouvera plus pour se livrer à une sorte de catharsis judiciaire ? Et finalement peu importe que ce Gröning n’ait pas eu l’étoffe des monstres célèbres qui sévirent dans les camps de la mort… Il était à Auschwitz, avec un uniforme SS sur le dos, et cela semble suffire.

Si l’on parle de justice, et que l’on compare Oskar Gröning aux six que j’ai cités, alors la justice est étrange. D’épouvantables tortionnaires ont passé une vieillesse paisible dans cette Allemagne qui avec 70 ans de retard à l’allumage se découvre soudain pointilleuse. Maintenant on se dépêche de juger un individu qui était, lors de son séjour à Auschwitz, si écœuré et terrifié par le camp de la mort qu’il réclamait (en vain) qu’on l’envoie plutôt se battre sur le front de l’Est.

Si l’on parle de pédagogie, alors Oskar Gröning serait plus utile ailleurs que sur le banc des accusés. Il s’agit d’un homme qui s’est toujours élevé contre le négationnisme, et qui n’a pas attendu que la justice s’intéresse à lui pour clamer : « J’étais à Auschwitz, en tant que SS. Je peux vous affirmer que cette monstruosité a bien existé ! » L’Allemagne, l’Europe, auraient été bien inspirées de donner à Oskar Gröning des moyens puissants de diffuser ce message, que trop de gens ignorent ou ne veulent pas entendre.

Que souhaitons-nous ? Dire : « Le dernier nazi est jugé, justice est faite, vous pouvez tous dormir en paix ! » Ou bien rester éveillés plutôt que dormir ? L’important n’est pas de traîner au tribunal un vieillard qui tangue accroché à son déambulateur, mais de savoir qu’après sa mort les idées qui l’on conduit autrefois à Auschwitz n’auront pas disparu, et qu’il faudra encore les combattre.

Partager cet article
Repost0
7 avril 2015 2 07 /04 /avril /2015 23:03

Depuis très longtemps, en fait depuis que Marine Le Pen oriente la politique de son parti après avoir succédé à son père, je suis frappé par l’écart abyssal entre ses préconisations en matière économique et celles qui furent celles du FN à l’origine. On est passé d’un ultralibéralisme ouvertement admiratif de la « révolution économique » initiée par Reagan et Thatcher à des idées proches de celles de l’extrême-gauche grecque et espagnole. Autant dire que les solutions proposées actuellement par le FN sont l’exact contraire des solutions proposées il y a 20 ans. Une longue période s’est écoulée avant que les média, probablement obnubilés par des questions autres qu’économiques en ce qui concerne ce parti, ne se décident à s’étonner de ce grand écart. La réponse donnée par tous les responsables du FN est assez sidérante et assez culottée. « Le monde a changé »… L’ultralibéralisme était opportun lorsque le rideau de fer séparait les sociétés capitalistes des communistes ; il ne l’est plus à l’ère de la mondialisation. Malheureusement les journalistes qui questionnent Marine, Jean-Marie, Marion et les autres sont aussi lents à réagir à de tels propos qu’ils le furent à s’intéresser à la mutation magique du FN sur le plan économique. Personne pour rappeler aux représentants du Front National que l’actuelle situation de déliquescence des Etats a commencé dans les années 80 lorsque lesdits Etats ont cessé de prendre de l’argent aux plus riches par le biais des impôts (honnis alors par Jean-Marie Le Pen), et se sont mis à le leur emprunter. Le résultat, Etats pauvres, endettés, incapables d’assumer leurs devoirs régaliens et d’assurer une aide sociale suffisante, grandes entreprises fort peu imposées et richissimes, milliardaires de plus en plus nombreux et de plus en plus épargnés par l’impôt (cherchez si ça vous amuse ce que paye le patron d’Auchan sur un revenu supérieur à un milliard d’euros, vous contribuez certainement plus que lui au fonctionnement de la société), est la conséquence directe d’une politique économique vénérée par le FN dirigé par Jean-Marie Le Pen. On se demande en quoi cette politique était géniale lorsqu’elle s’appliquait à une partie de la planète fonctionnant selon le modèle capitaliste, et effroyable maintenant que le nombre de pays adoptant ce modèle s’est accru. Marine Le Pen pourrait simplement déclarer que son père était dans l’erreur. Mais cela ne servirait pas la stratégie du Cetorhinus maximus, ou requin pèlerin en français.

Peut-être avez-vous vu des photographies de ce gigantesque poisson planctonivore, capable de distendre sa gueule d’une manière impressionnante afin d’avaler un volume d’eau maximum. Ses mâchoires sont capables de s’écarter à l’extrême, ce qui lui permet d’ingérer puis de filtrer tout ce qui passe à sa portée. Si vous avez une mandibule inférieure figurée par Jean-Marie Le Pen le fondateur et son noyau de fidèles des origines, adorateurs des pourfendeurs d’impôts et ratiboiseurs de dépenses publiques Reagan et Thatcher, et une mandibule supérieure représentée par la jeune garde du FN aux accents dignes de Yanis Varoufakis, vous ratissez aussi large qu’un requin pèlerin affamé.

Cela marche d’autant mieux que les mâchoires du Front National ne se contentent pas de se distendre dans la dimension économique. Elles font preuve d’une grande souplesse dans d’autres domaines. Jean-Marie Le Pen en remet une couche sur le plus grand génocide de l’histoire de l’humanité en le qualifiant une nouvelle fois de « détail ». Sa sortie ragaillardit les bataillons originels de son parti, nostalgiques du pétainisme et antisémites incurables. Sa fille s’offusque, l’inénarrable Gilbert Collard s’emporte. Eux ne plaisantent pas avec la Shoah, ce qui rassure les électeurs tentés par le FN mais que certaines outrances pourraient choquer. A noter que Jean-Marie Le Pen est toujours président d’honneur du parti (comme dit Florian Philippot, « les paroles ne sont pas honorables, mais l’homme, lui, l’est »). A noter également que maître Collard n’a pas quitté le « Mouvement Bleu Marine » en claquant la porte. Formidable élasticité des mâchoires du Cetorhinus… A propos de Gilbert Collard, interviewé au sujet du terrorisme islamiste, il s’indignait de la planification d’un renforcement des moyens de surveillance mis à disposition de la police (écoutes téléphoniques notamment) en criant « aux lois liberticides ». Ses solutions ? D’abord, il n’y en a plus, on a mis à bas les frontières, c’est foutu ! (s’il est élu, on se demande ce qu’il pourra proposer à ce sujet, puisque c’est trop tard). En insistant un peu, on obtient de lui qu’il révèle sa panacée, finalement il demeure un espoir, les frontières, les frontières, il n’y a que ça de vrai ! Brillante analyse du problème, sachant que les terroristes qui sévissent chez nous (et chez les autres c’est pareil) sont des nationaux radicalisés sur place (avec souvent un petit tour à l’étranger pour se former, mais pas forcément), que le seul moyen de prévenir leurs méfaits est justement la surveillance dont Gilbert Collard ne veut pas car « liberticide », et que même si nous bâtissons une muraille hexagonale inexpugnable autour de notre territoire, cela ne sera d’aucune utilité puisque le danger est à l’intérieur. Cet aparté pour dire que maître Collard est un excellent représentant de la stratégie FN visant à imiter les requins mangeurs de plancton (l’un d’entre eux s’appelle le requin grande gueule, Megachasma pelagios pour les intimes). Quitte à dire n’importe quoi, ouvrons large les mâchoires, attrapons tout ce qui passe, grâce à des propos qui doivent : être contre ce que proposent ou font tous les autres (« UMPS ») ; séduire des électeurs aux idées très diverses, même si elles sont a priori incompatibles entre elles.

Le plus terrifiant est que cette stratégie du Cetorhinus fonctionne. Je me souviens d’un candidat à la présidentielle affublé d’un bandeau de pirate qui rassemblait moins de 3% des électeurs. Son parti, dont il est toujours le président d’honneur, tourne désormais autour des 40%. Je pense que les media de notre pays portent une grande part de responsabilité dans cette progression. Ils ont fait passer le FN du statut de paria à celui de monstre de foire qu’on exhibe sur les plateaux pour faire peur, puis à celui de parti « presque » comme les autres, puis à celui de parti qu’il faut écouter puisqu’il est le premier de France ; bientôt le FN sera présenté comme le recours ultime. Où sont les journalistes teigneux à l’anglo-saxonne capables de poser vingt fois la même question s’ils jugent n’avoir pas obtenu de réponse satisfaisante ? Comment peut-on considérer comme réponse satisfaisante la pirouette du FN sur sa mutation magique en matière de politique économique ? Comment peut-on écouter sans broncher les délires d’un Gilbert Collard sur les questions de sécurité ? Comment peut-on éviter de mettre le FN face à ses (innombrables) contradictions ? Pourquoi entendons-nous parler cent fois plus des renoncements de François Hollande, renoncements certes exaspérants pour l’électeur de gauche qui a voté pour lui, mais qui signent seulement la transformation d’un socialisme timide en social-démocratie fade (peut-être le mot social est-il de trop), que du virage à 180° effectué par le FN dans le seul but de surfer sur la vague soulevée par les changements trop rapides de notre société ?

Le Cetorhinus avale tout avec sa gueule capable de se distendre de manière phénoménale, plancton en quantité, mais aussi crevettes, maquereaux, sardines et harengs. Le FN avale beaucoup (40% de l’électorat). On pourrait croire que ses mâchoires vont craquer à force de s’écarter autant, mais elles tiennent bon. Encore un petit effort, et il gobera 51% des votes. Alors nous serons fixés, nous découvrirons quelle politique il compte mener. Personnellement je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle pourrait finalement être. Je doute que les dirigeants du FN le prévoient eux-mêmes. Qui sait-ce qui se passe dans l’estomac d’un monstre ?

Partager cet article
Repost0
6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 17:30

Depuis les tueries perpétrées à Paris le 7 janvier dernier, nous sommes abreuvés d’articles et de débats télévisés ou radiodiffusés sur les raisons qui peuvent pousser certains de nos concitoyens français à se lancer dans une « guerre sainte » au nom de valeurs nées d’une compréhension biaisée de l’Islam. Tout a été dit et écrit sur le terreau qui permet à cette génération de djihadistes de grandir (banlieues-ghettos, mais pas seulement étant donné le profil des candidats, la recherche d’un « idéal » compte beaucoup, et la révolution mondiale des années 70 a été remplacée par une autre utopie génératrice de violence terroriste) ; sur les moyens de l’embrigadement et de la radicalisation (mélange de techniques sectaires éprouvées et de modernité utilisant à fond les possibilités offertes par Internet) ; sur les dures réalités auxquelles les impétrants se retrouvent confrontés sur le terrain, qui peuvent en écœurer certains et en exalter d’autres (se trouver contraints de commettre d’abominables massacres difficilement assimilables à des actes héroïques pour les hommes, servir de « filles de réconfort » pour les femmes, aller se faire exploser lors d’attentats-suicides pour les deux) ; sur la manière dont il convient de gérer l’éventuel retour de ces djihadistes au sein du territoire national ; sur les moyens de prévenir cette fascination difficilement compréhensible pour le commun des mortels ; sur les méthodes à employer afin d’empêcher tout phénomène d’amalgame, de confusion entre musulman et terroriste potentiel ; sur la nécessité d’élaborer quelque chose qui pourrait s’intituler « Islam de France », quelque chose qui mettrait l’accent sur l’attachement aux valeurs de la République (laïcité en tête) et sur lequel il serait possible de s’appuyer pour mener une contre-propagande à destination de l’infime proportion d’individus tentés par une dérive extrémiste.

Autant de problématiques importantes, autant de questions qui méritent d’être posées et si possible résolues, mais qui n’abordent jamais un sujet pourtant fondamental : ce jihad, que prétendent mener les quelques centaines (ou milliers ?) de jeunes occidentaux prenant un billet d’avion pour la Turquie (voie d’entrée pour le nouvel Etat islamique autoproclamé, né sur les décombres de la Syrie, qui s’est autodétruite, et de l’Irak, que l’intervention « bushienne » a bien aidé à voler en éclats), CONTRE QUI se déroule-t-il ? J’imagine que la quasi-totalité de ceux qui partent « la fleur au fusil », si on le leur demande, répondront qu’ils entendent lutter contre une sorte de dévoiement occidental, destructeur des véritables valeurs religieuses islamistes, et qui a corrompu les pays musulmans dans lesquels un Etat qui prône un degré élevé de « pureté » est en train de se construire. Or rien n’est plus faux. Dans les faits, sur le terrain, ils iront affronter le double de Daesh, son jumeau, à savoir une entité quasiment aussi féroce, mue par une volonté identique de promouvoir ce qu’elle considère comme le véritable Islam, et tout aussi haineuse de ce que représente l’Occident. Le jihad qui fascine certains jeunes Européens n’est pas la guerre sainte dont ils rêvent, elle n’est qu’un balbutiement de l’histoire, un nouveau conflit entre sunnites et chiites.

L’armée irakienne équipée et formée par l’Amérique s’est débandée devant les troupes de Daesh, tout simplement parce qu’elle était composée d’hommes qui n’avaient nulle intention de mourir pour un concept, l’Etat irakien, qui n’existe plus. L’Etat syrien n’a d’ailleurs pas plus de consistance. Dans cette région du monde, il ne reste que des factions, ethniques (kurdes), claniques (autour d’El Assad), religieuses. Et le choc principal qui est en train de se dérouler a lieu entre les vieux ennemis chiites et sunnites. L’armée irakienne qui a resurgi est chiite (composée d’ailleurs à 60% de milices religieuses). Elle est appuyée par des pasdaran iraniens. L’homme qui de fait dirige cette force, Kacem Soleimani, est un chef des Gardiens de la Révolution, aguerri par le conflit sanglant entre l’Iran et l’Irak, cauchemar des Américains lorsqu’il instrumentalisait contre eux les milices chiites en Irak, et qui n’a probablement rien à envier en termes de fanatisme à Al-Baghdadi. Aux horreurs commises par les troupes de l’Etat Islamique répondent celles des milices chiites, promptes à considérer tous les civils sunnites comme des « collabos » de l’EI. Les Occidentaux, à la fois ravis que des troupes au sol puissamment équipées et farouchement déterminées combattent Daesh au sol, et effarés de voir l’épouvantail iranien prendre pied en Irak, ont suspendu leurs bombardements. La guerre sainte bat son plein. Mais c’est une guerre entre musulmans, fanatisme chiite contre fanatisme sunnite. Je précise bien fanatisme, car les populations qui aspirent à vivre en paix n’ont plus pour seul espoir que les soldats qui occuperont leurs terres soient de la même confession qu’eux. L’histoire nous a enseigné que lorsqu’une guerre de religions se déroule, c’est bien l’unique critère qui sépare un condamné d’un survivant.

Je crois que la première mesure à prendre pour dissuader des jeunes Européens d’aller grossir les rangs de l’EI serait de faire savoir, de manière claire, par tous les moyens d’information possibles, que le combat qu’ils comptent mener, ils le mèneront contre d’autres musulmans, eux aussi persuadés de défendre l’Islam, eux aussi prêts à mourir dans ce but, eux aussi pleins de mépris pour l’Occident. S’ils voient face à eux leur propre image dans un miroir, peut-être hésiteront-ils. A moins que les recruteurs ne réussissent à les convaincre qu’une théocratie musulmane rigoriste (leur utopie, donc) mérite d’être éradiquée, et qu’une guerre sainte contre d’autres croyants est une priorité.

Partager cet article
Repost0
8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 16:12

Presque deux ans et demi avant les événements tragiques du 7 janvier 2015, j’avais écrit un article à propos des croyances religieuses et du droit (et du devoir) qu’ont les journaux satiriques (notamment Charlie Hebdo) de s’en moquer librement. En le relisant aujourd’hui, je pense que je n’ai pas besoin d’en changer une seule ligne. Voici donc ce texte, qui me permet de prétendre qu’à l’époque, « j’étais Charlie » :

L'action de mon roman "Le Maître des ombres" se déroule une vingtaine d'années dans le futur. Mais comme toujours avec la Science-Fiction et l'Anticipation, ce qui me fait craindre le type de conflagration que j'y décris existe déjà, sous nos yeux, à notre époque.

Pour un quinquagénaire comme moi, quelqu'un dont la jeunesse s'est passée dans les "seventie's", l'emprise toujours croissante du religieux sur la société est véritablement effrayante. C'est une progression insidieuse, que ne perçoivent peut-être pas aussi bien les gens de moins de quarante ans, mais elle est constante, et j'ai peur qu'elle ne soit en train de s'accélérer.

Je veux être clair sur deux points:

Tout d'abord, que les hommes se préoccupent de spiritualité me semble naturel et même souhaitable. La foi est éminemment respectable, et que chacun soit libre de chercher (ou pas) une vérité transcendante, de tâtonner dans les méandres de sa conscience pour déterminer s'il possède une âme éternelle, et de s'essayer à des contacts avec l'ineffable lumière du divin, par la prière, le jeûne, la mortification, ou même en absorbant toutes sortes de psychotropes (ça c'est l'héritage des "seventie's" dont je parlais tout à l'heure), je ne vois pas qui cela pourrait déranger. Cependant, on l'aura compris, cette quête est quelque chose d'intime. Rien ne devrait être plus intime que la quête spirituelle (même le sexe). Là où les choses commencent à se dégrader, c'est lorsque cette quête devient codifiée et ritualisée; et rien ne va plus lorsque codes et rites deviennent des dogmes. Et si des groupes d'individus vous expliquent que ces dogmes sont en fait la parole de Dieu (si, si, Il leur parle, à eux, pas à vous) et que vous avez sacrément (c'est le cas de dire) intérêt à les respecter, alors c'est qu'on est en train de toucher le fond. En gros, l'évolution que je viens de décrire, c'est ce qui conduit aux théocraties. Spiritualité, puis religions, puis théocraties. Si nous pouvions en rester à la première étape...

Deuxièmement, le problème que je décris n'est pas propre à l'Islam. Je suis effaré que des gens censément cultivés et intelligents développent des théories sur la particularité de l'Islam en tant que religion (incompatible avec la démocratie, intrinsèquement misogyne, fondamentalement rétrograde, etc, etc...) L'Islam n'est pas plus nocif que les autres croyances. L'obscurantisme, l'homophobie, la misogynie, existent potentiellement dans toutes les religions. Placez-vous à des endroits et des périodes différentes, vous y contemplerez la bêtise crasse des chrétiens ou les abominations commises par les bouddhistes (l'époque est à imaginer que les musulmans sont fanatiques et les bouddhistes gentils; aux temps où ces derniers cherchaient à supplanter le Taoïsme en Chine, ils n'avaient rien d'angélique). Il existe des cycles, tout simplement. Ceux qui dévoient la spiritualité pour en faire un instrument d'asservissement sont dangereux lorsqu'ils sont puissants. Et l'Histoire nous apprend que les martyrs de la foi deviennent quelques générations plus tard d'ignobles bourreaux. Voyez le film "Agora", d'Alejandro Amenabar. C'est un chef d'œuvre. Il montre tout cela, à la perfection. Vous pouvez intervertir païens et chrétiens, païens et juifs, remplacer les chrétiens par les musulmans (qui n'existaient pas encore), toute sa démonstration reste parfaite. Pour éviter les problèmes, les religions ne doivent pas obtenir une once de pouvoir. Cela s'appelle la laïcité. Notre système. Alors battons-nous pour le conserver.

Nous en arrivons à l'actualité. Passons sur le film stupide réalisé avec des bouts de ficelle et instrumentalisé par des intégristes saoudiens (avant que ces derniers ne l'utilisent, il avait été vu 500 fois...) Il ne mérite aucun commentaire. Ce qui doit nous préoccuper, nous, citoyens français, c'est le choc entre la liberté d'expression (loin d'être absolue d'ailleurs mais encadrée par des lois) et la susceptibilité religieuse. Chacun pense ce qu'il veut de Charlie Hebdo, un journal que je lis de temps en temps depuis des décennies. Charlie, c'est comme Groland; parfois on éclate de rire, et parfois on trouve les vannes lourdes et de mauvais goût (notons que le voisin peut rire à ce que l'on a trouvé affligeant, et vice versa) Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis Voltaire et le chevalier de La Barre. De l'eau et du sang, beaucoup de sang, celui des hommes et des femmes qui ont lutté pour la démocratie et son corollaire, la liberté de dire, d'écrire, de se moquer et de blasphémer. Vous je ne sais pas, mais moi je n'ai pas envie de renoncer à ça.

Charlie Hebdo n'a cessé de pourfendre, à sa manière, lourde, bien grasse (des fois ce genre d'humour peut être hilarant, je le répète) les travers des religions; de toutes les religions. Les Musulmans qui avaient porté plainte contre le journal une première fois le savent, c'était une des lignes de défense de Charlie. L'Islam n'est pas spécialement visé. Toutes les religions peuvent être visées. Et c'est tant mieux, comme je l'ai déjà dit, elles sont toutes potentiellement dangereuses. Il faut que cela continue. Parce que le jour où cela s'arrêtera, ce sera un mauvais signe; un très mauvais signe.

Les croyants sincères n'ont pas à s'inquiéter. Personne ne les dérangera dans leur quête spirituelle (qui peut se faire à la maison ou dans toutes sortes de lieux de culte). Veiller à ce que cela perdure fait d'ailleurs partie des devoirs de notre démocratie laïque. Que l'on rigole grassement de leurs croyances ne doit pas les bouleverser. Personnellement les dessins de Charlie sur le Christ m'ont souvent fait marrer. Cela ne m'empêche pas de me servir du Nouveau Testament pour tenter d'être éclairé sur certaines choses. Le Coran recèle des merveilles, comme la Torah ou les Evangiles. En tout cas si on veut bien faire l'effort de les trouver. Les textes sacrés sont une auberge espagnole; lisez-les avec un cœur plein d'amour, de tolérance et de compassion, vous y trouverez des montagnes d'amour, de tolérance et de compassion. Les vindicatifs pourraient bien y trouver, eux, d'excellentes raisons de s'en prendre à tous ceux qu'ils considèrent comme des mécréants. C'est pourquoi la quête spirituelle doit demeurer intime, mais la vie et l'expression publique régies par les lois. Quant à un dessin, une phrase, une plaisanterie, en quoi pourraient-ils mettre en péril la foi des croyants? Et regardez-les bien, ces dessins de Charlie-Hebdo. Ce qu'ils moquent, n'est-ce pas davantage le fanatisme que la foi, l'hypocrisie des bigots plutôt que la spiritualité? J'ai au moins vu un dessin qui pour moi s'en prenait clairement à la manière stupide et de mauvaise foi dont le film ridicule sur le prophète Mahomet attaquait les musulmans.

Il y a des choses dont les hommes de différentes confessions pourraient rire ensemble: la tartufferie, la bigoterie, l'intolérance. Et des choses dont ils pourraient s'émerveiller ensemble. Comme la première sourate du Coran:

Au nom de Dieu :

Celui qui fait miséricorde,

Le Miséricordieux.

Louange à Dieu,

Seigneur des mondes :

Celui qui fait miséricorde,

Le Miséricordieux,

Le Roi du jour du Jugement.

Si nous tous ne devons retenir qu'un mot, retenons ce mot de miséricorde. Faisons tous l'effort de tenter de nous montrer miséricordieux, comme ce dieu que célèbre le Coran. Sans cela, sans miséricorde, les religions nous conduirons tout droit au futur décrit dans "Le Maître des ombres".

Partager cet article
Repost0
31 janvier 2015 6 31 /01 /janvier /2015 12:21

Le nouveau pape possède les vertus de notre époque, de la même façon que Jean-Paul II les possédait. Contrairement au retraité Ratzinger, et à l’instar du défunt Polonais, il est un bon communiquant. Le malheureux Benoît XVI, intellectuel pétri de théologie, se perdait trop dans les méandres sans fin de la pensée catholique, fleuve deux fois millénaire charriant des eaux opaques tout au long d’un trajet sinueux divisé en de multiples branches et nourri d’innombrables affluents. A l’époque de tweeter et des pensées exprimées en trois lignes, Benoît XVI était un moine copiste cherchant une vérité au sein d’un dédale sans fin de textes sur la foi, une bonne manière de noyer ses ouailles dans le fleuve susmentionné.

François est, pour sa part, un puncheur. Un as de la formule choc. Il pourrait, justement, tweeter le fruit de ses réflexions. Par exemple « un bon catholique n’est pas un lapin ». Fort bien. Terminé donc le « croissez et multipliez », célèbre assertion biblique, que l’on oublie en général de citer intégralement en précisant « remplissez la Terre », fin de l’injonction divine. Si l’on considère que la Terre est plus que pleine, qu’elle aurait même tendance à déborder, alors le boulot est achevé, et le lapinisme doit prendre fin. François est donc raccord avec la Bible, c’est le moins qu’on puisse attendre d’un pape. Sauf qu’il ne précise rien en ce qui concerne les moyens de suivre son conseil. C’est le problème avec les tweets, ils sont courts, et ne permettent pas de développer des arguments. Du coup débrouillez-vous avec l’interprétation. Faut-il comprendre que la contraception n’est plus maudite ? (mais là c’est un énorme tabou du catholicisme que le pape voudrait renverser) Irait-il jusqu’à autoriser l’avortement ? (inconcevable) Ou bien les catholiques sont-ils sommés d’adopter une vie monacale ? François décoche des formules avec l’aisance d’un bon communiquant, mais les slogans publicitaires laissent la part belle au rêve et à l’imagination.

Deuxième tweet qui déchire : « Si quelqu’un manque de respect à ma mère, il risque de s’en prendre une ! ». En référence aux blasphémateurs de Charlie Hebdo, qui après avoir été abondamment pleurés avec une compassion chrétienne de bon aloi, se trouvent brutalement remis à leur place de vilains provocateurs mécréants qui ont reçu ce qu’ils méritaient. A nouveau, le pape laisse les croyants dans l’incertitude. Face au blasphème, comment réagir ? S’en tenir aux évangiles ? (Mathieu, 5, 39 : « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre ») Les évangiles, c’est quand même la source du fleuve précédemment évoqué. L’eau limpide qui jaillit pour désaltérer le croyant. Notez que le Christ ne parle pas de moqueries ou d’injures (lui qui en subit continuellement) mais de coups. En ce qui concerne les insultes, il me semble que les évangiles démontrent que Jésus y répondait par un art consommé de la rhétorique, plaçant toujours ceux qui l’agressaient face à leurs contradictions. Quant à la violence… Matthieu, 26, 52-53 : « Remets ton épée en place ; car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me donnerait à l’instant plus de douze légions d’anges ? »

Nous voilà donc avec un pape, si j’ose dire, plus royaliste que le roi. Si quelqu’un insulte sa mère (symboliquement sa foi), il pourrait prendre exemple sur celui qui devrait être son modèle et répliquer dans le même registre, voire avec plus de drôlerie (« ta mère, elle est tellement… etc… »). Mais avec François, c’est le bourre-pif qui part. Et si on lui en met un, de bourre-pif ? Et mieux, si on l’arrose à la kalachnikov ? Parce que c’est quand même à ce niveau d’escalade que des gens qui avaient le sentiment d’être insultés en sont arrivés.

Et puis, renversons un peu les rôles. Admettons que vous soyez athée. C’est aussi respectable que d’adhérer à n’importe quelle religion. Admettons que vous soyez profondément choqués par certaines atteintes à vos principes, principes qui ne reposent pas sur des révélations surnaturelles, mais sur, en vrac, les enseignements des penseurs grecs de l’Antiquité, ceux des philosophes des Lumières, et ceux des scientifiques contemporains. Si vous considérez comme une ânerie dangereuse pour l’Humanité le fait d’interdire l’usage du préservatif (SIDA et autres MST + Surpopulation), si vous considérez qu’une telle absurdité est une insulte à la raison (votre mère), que proférer cette connerie urbi et orbi est un blasphème contre l’intelligence, que devez-vous faire ? Mettre un coup de boule au premier curé que vous croisez ? Vandaliser une église ? Ou pire ? Pourtant ce serait justifié selon la logique du pape François. On a insulté votre mère la raison ! Et quand on insulte votre mère, attention, il faut s’attendre à une réplique musclée !

Je saurais infiniment gré à la personne réputée infaillible qui est le berger du troupeau catholique :

  • Premièrement de s’appuyer davantage sur le texte qui est censé constituer le fondement de sa religion, ce qui permettrait à tout le monde, croyants qui le contemplent de l’intérieur de l’institution, et tous les autres qui l’observent de l’extérieur, de mieux comprendre et de mieux accepter ce qu’il déclare (notamment en ce qui concerne l’usage de la violence)
  • Deuxièmement de se mettre à la place, non seulement de ceux qui pratiquent une autre religion que la sienne (ça il le fait plutôt bien), mais surtout de ceux qui n’en pratiquent aucune.

Les athées, cher pape François, s’ils ne croient pas en une vérité révélée, n’en sont pas moins dotés d’une conscience. Ils ont des valeurs qui leurs sont chères, des principes qu’ils essaient de défendre, des convictions qu’ils n’aiment pas voir foulées aux pieds. Personne en France n’agresse les fidèles dans les églises au motif que des billevesées en matière de sexualité sont proférées par l’institution qui les chapeaute. Les excités qui braillent devant les hôpitaux où se pratiquent des avortements ne se font pas molester. Nul libre penseur n’a appelé à répondre à coups de poing aux crimes de lèse-raison que l’Eglise catholique commet depuis si longtemps. Alors faites comme nous. Si on se moque de ce que vous avez de plus cher, argumentez, répondez sur le même registre, et pardonnez à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font.

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2015 6 10 /01 /janvier /2015 13:58

 

Le 1er juillet 1766, à Abbeville, François-Jean Lefebvre de La Barre eut les os des jambes brisés avant d’être décapité. Puis on brûla son corps avec un exemplaire du Dictionnaire Philosophique de Voltaire cloué sur le torse. Il avait été conduit à l’échafaud en chemise, la corde au cou, affublé d’une pancarte mentionnant : « impie, blasphémateur et sacrilège exécrable ». Les crimes dont il avait été reconnu coupable étaient : « avoir passé à vingt-cinq pas d’une procession sans ôter son chapeau qu’il avait sur sa tête, sans se mettre à genoux, d’avoir chanté une chanson impie, d’avoir rendu le respect à des livres infâmes. »

Le 7 janvier 2015, à Paris, Stéphane Charbonnier, Jean Cabut, Georges Wolinski, Bernard Verlhac  et Philippe Honoré furent criblés de balles en compagnie de sept autres personnes. On laissa leurs corps au milieu d’une mare de sang mêlé à leurs caricatures « impies, blasphématrices et sacrilèges ». Les crimes dont ils avaient été reconnus coupables étaient : « avoir passé leur temps à rire des religions au lieu de leur montrer tout le respect qui leur est dû, ne s’être agenouillés devant aucun dieu, avoir proféré des propos impies à longueur de colonnes, s’être moqué des prophètes ».

250 ans, les Lumières, la Révolution française, les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, les avancées de la Science. Mais le cœur des hommes peut toujours contenir autant de haine, leur esprit autant de folie, leur âme autant d’obscurité.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 15:57

Jusqu’ici, 9 arts sont comptabilisés (le plus récemment entré dans la liste étant la BD). Je militerais bien pour que le 10ème art soit la série TV. Bien sûr, il y a déjà le cinéma, le 7ème art, et une série, ça n’est jamais qu’un film découpé en morceaux, non ? Pas du tout ! Avec les saisons qui se succèdent, une série peut durer 20 à 50 fois plus longtemps qu’un film ; les possibilités narratives ne sont plus les mêmes, la façon de raconter l’histoire change complètement. La série, c’est le 10ème art ! Et en voici 10 à ne pas louper. L’ordre dans lequel elles apparaissent n’est pas un classement, pour moi il n’y a pas de hiérarchie.

Petite parenthèse, les goûts et les couleurs ne se discutant pas, vous trouverez sans doute que telle série que vous avez adorée méritait bien davantage de figurer dans ce palmarès que telle autre que j’ai sélectionnée. Sachez que moi-même j’ai renoncé à y faire figurer des séries que j’ai beaucoup aimées. Il n’y a que 10 places. Et des tas de raisons pour ne pas figurer dans les 10 : séries prometteuses mais ne comportant pas assez de saisons pour être jugées (The Americans, Orange is the New Black, House of Cards, Banshee, Vikings) ; séries qui, au contraire, se sont usées au fil du temps en durant trop (E.R., Dr House, Desperate Housewives) ; séries qui ont démarré sur les chapeaux de roue avant de tourner en jus de boudin (Lost, Prison Break) ; séries traitreusement abattues en plein vol (Flashforward, Detroit 1-8-7) ; séries tirant un peu trop sur la même ficelle (Californication, The Walking Dead, True Blood) ; bonnes séries mais qui finissent par nous gaver avec le système judiciaire américain (Damages, The Good Wife, Suits) ; séries sympa manquant un peu d’épaisseur (Veronica Mars, Hung) ; excellentes séries plombées par une « saison faible » (Dexter, Homeland) ; séries que je n’ai pas vues (je ne demande qu’à les découvrir, faites votre propre palmarès pour m’aider !) Et au fait, il n’y a que des séries américaines. Aucun championnat de Basket-Ball dans le monde n’est au niveau de la NBA ; pareil pour les séries, les Américains sont les plus forts, de très, très loin.

 

TREME (4 saisons)

Pas de suspense frénétique, de rebondissements spectaculaires, d’épisodes s’achevant sur d’insoutenables interrogations. Treme, c’est le nom (français) d’un quartier de la Nouvelle-Orléans. La série éponyme raconte, avec la lenteur et la majesté du fleuve Mississipi, la vie de quelques-uns de ses habitants, blancs et noirs, dont les destins se croisent et s’entrechoquent, après le passage de l’Ouragan Katrina. L’exploit de Treme est de parvenir, en délaissant toutes les ficelles scénaristiques habituelles, à demeurer puissamment addictive le long de ses quatre saisons. Ou plutôt de ses trois saisons et demie, la quatrième étant une saison raccourcie ; encensée par la critique, la série était sans doute un peu trop atypique pour captiver un nombre de spectateurs suffisant aux Etats-Unis et faire durer le projet. Pourtant, Treme est une expérience unique que je vous conseille fortement. Impossible de ne pas aimer ses personnages, impossible de ne pas rire et souffrir avec eux, impossible de ne pas avoir envie de replonger à chaque épisode dans l’univers de la Nouvelle-Orléans, dans ses couleurs et sa musique. Regardez Treme. Et très vite, dès que vous entendrez le générique, vous serez heureux, et vous aurez envie de danser.

 

SIX FEET UNDER (5 saisons)  

Difficile d’imaginer a priori qu’on puisse bâtir 5 saisons autour de la vie d’une famille d’entrepreneurs de pompes funèbres. Même si aux Etats-Unis, l’embaumement des corps revêt une grande importance (cérémonies avec le cercueil ouvert pour dire au revoir au défunt), le pari semblait risqué. Mais Six Feet Under réalise l’exploit de passionner le spectateur d’un bout à l’autre, grâce à sa profondeur quasi-philosophique, l’humanité de ses personnages et son humour omniprésent. Si Peter Krause trouve là le meilleur rôle de sa carrière, si Michael C. Hall se fait remarquer au point d’être choisi pour plus tard incarner Dexter, si Richard Jenkins (réduit à l’état de fantôme dès le début du premier épisode) et James Cromwell sont parfaits comme toujours, de mon point de vue, les actrices de la série arrachent la vedette aux hommes. Frances Conroy est géniale en mère évaporée, Rachel Griffiths extraordinaire en nympho déjantée, et Lauren Ambrose sublime en ado borderline (comment n’a-t-elle pas fait une carrière de premier plan après ce rôle ?). Ajoutons que la fin de la série est très certainement le point final le plus réussi, le plus magnifique que j’ai eu l’occasion de voir.

 

FRIDAY NIGHT LIGHTS (5saisons)

Encore un sujet qui au premier abord pourrait n’avoir rien de passionnant (surtout pour des Français). Toute l’histoire s’articule autour de l’équipe de football (américain) du lycée d’une ville du Texas (Dillon, un bled imaginaire). Culs-bénis invétérés (on prie avant les matches de foot, et Dieu est censé être du côté de l’équipe des Panthers), ces bouseux du Texas au milieu desquels on peine à découvrir la moindre affinité pour le parti démocrate n’ont rien théoriquement pour engendrer l’identification. Là où Friday Night Lights est phénoménale, c’est que l’humanité des personnages s’avère tellement intense qu’elle crée une formidable empathie et transcende les différences qui peuvent exister entre eux et le spectateur français moyen. Entre tragédies personnelles (handicap, alcoolisme, absence des parents) et galères collectives (pauvreté des moyens consacrés à la santé et à l’éducation, tensions raciales), les protagonistes de la série nous font partager leurs souffrances et leurs espoirs, guidés par un coach certes parfois un peu psychorigide à la sauce texane, mais doté de qualités humaines rares. Et peu à peu, chaque spectateur devient un supporter inconditionnel de son équipe.

 

THE WIRE (5saisons)

Avec le même créateur (David Simon), rien d’étonnant à ce que The Wire offre des caractéristiques assez proches de celles de Treme en terme d’écriture. Comme dans Treme, la ville, cette fois-ci Baltimore, est un élément central. On retrouve la même profondeur d’analyse en matière socio-politique, la même critique sous-jacente de la société américaine, le même travail très fouillé sur la psychologie des personnages, dont aucun n’est une caricature ou un archétype. On retrouve également le même rythme un peu lent, la même volonté d’esquiver la facilité d’un enchaînement frénétique de pirouettes scénaristiques (classique dans beaucoup de séries) pour mieux se consacrer au fond du sujet. Avec, en toute logique, le même résultat, c’est-à-dire un immense succès critique doublé d’un résultat commercial plus décevant. The Wire est une sorte d’analyse, à travers des enquêtes policières menées par des flics désabusés mais obstinés, de la désagrégation des cités américaines (Baltimore pourrait être remplacée par n’importe quelle mégalopole des USA), colosses impressionnants rongés de l’intérieur par la drogue, la corruption, la désindustrialisation et la misère qui en découle. A noter que d’excellents acteurs de The Wire ont aussi joué dans Treme, pour notre plus grand plaisir (Clarke Peters, Wendell Pierce)

 

THE SOPRANOS (6 saisons)

Dur d’être le parrain de la mafia du New-Jersey. C’est ainsi qu’on peut résumer The Sopranos, série culte qui nous fait partager les vicissitudes d’une famille italo-américaine dont le chef Tony (prodigieux James Gandolfini) doit se coltiner non seulement les soucis inhérents à son rôle de pater familias, mais aussi ceux qui arrivent en cascade du clan mafieux auquel il appartient. Tellement de pression qu’il en fait des malaises psychosomatiques et doit consulter une psy !  La plus grande réussite de The Sopranos, c’est de dépeindre à la perfection une galerie de personnages mijotant depuis leur plus tendre enfance dans les codes des truands italo-américains, marqués à la fois par une avidité sans bornes et une propension à recourir à la violence pour n’importe quoi, tout en restant profondément attachants. C’est une qualité constante des bonnes séries de donner cette épaisseur aux personnages. Dans le cas de The Sopranos, le défi était particulièrement relevé, tant les protagonistes font le grand écart entre ce qui fait d’eux des individus ordinaires dans leurs sentiments à l’égard de leurs proches, et des êtres retors, cruels et obsédés par l’argent dans leurs rapports « professionnels ». D’autant plus que les proches et les relations d’affaires sont souvent les mêmes… Excellents acteurs, avec une mention spéciale à Nancy Marchand dans le rôle de la mère de Tony.  

 

BREAKING BAD (5 saisons)

Un professeur de Chimie, condamné à court terme par un cancer du poumon, s’improvise fabricant de méthamphétamine pour laisser à sa femme et à son fils handicapé un pécule après sa mort. La série, à la fois énorme succès critique et commercial, entraîne le spectateur avec un art consommé dans la lente mutation d'un brave père de famille en parrain de la drogue redoutable. Hormis l’écriture scénaristique impeccable et originale, la justesse des acteurs et l’équilibre parfait  de la série (5 saisons, point-barre, malgré les tentations qui ont dû être fortes de rallonger la sauce), c’est la fascination pour ce Docteur Jekyll contemporain qu’est Walter White (incarné magistralement par Bryan Cranston) qui fait la force de Breaking Bad. L’identification au personnage principal prend racine dans le désir obscur de chacun de boire la potion capable de transformer le bon Jekyll en terrifiant Mister Hyde, le brave professeur White en mystérieux et inquiétant Heisenberg (son pseudo de dealer). A noter que Breaking Bad est entré dans le livre des records en obtenant la note de 99/100 décerné par le site Metacritic, un score jamais obtenu qui sous-entend que pour Metacritic, Breaking Bad est la série parfaite.

 

GAME OF THRONES (cinquième saison en préparation)

Me voilà en train de déroger à la règle que je m’étais moi-même fixée pour ce palmarès : ne sélectionner que des séries achevées. Mais il est bien difficile de laisser de côté le phénomène Game of Thrones ! (du coup, je fais la même entorse pour toutes les séries dont la critique suit) A l’origine d’un engouement planétaire qui provoque une frénésie de téléchargements, Game of Thrones est avant tout une excellente adaptation. Les lecteurs de la saga de George R.R. Martin doivent trouver bien peu à redire (il y a cependant toujours des grincheux).  L’univers de Fantasy très original de cet auteur est parfaitement restitué, grâce à un excellent casting (Peter Dinklage prodigieux en Tyrion Lannister notamment), un scénario intelligent respectueux du rythme de l’histoire et déjouant habilement les difficultés posées par le roman (qui sont nombreuses), plus des moyens importants esquivant le piège de la Fantasy en carton-pâte (le genre est coûteux à porter à l’écran). Le résultat est magique (sauf pour les allergiques au genre). Le bonus avec Game of Thrones : si vous avez des gamins en âge de la suivre, lisez le roman (de préférence en anglais pour avoir encore plus d’avance sur la série) et menacez-les de spoiler l’histoire en cas de conflit (technique éprouvée déjà par des enseignants) ; le pouvoir que cela vous donnera sur eux est incommensurable.

 

SONS OF ANARCHY (septième et dernière saison en cours)

Série en cours également (mais la dernière saison est en train de s’achever, ce qui est loin d’être le cas pour Game of Thrones), Sons of Anarchy est une sorte de tragédie grecque chez les bikers californiens, avec le journal d’un défunt dans le rôle du chœur. Si cette série a en commun avec The Sopranos le fait de tirailler les personnages entre leurs liens affectifs et leur business illégal, la comparaison s’arrête là. Le SAMCRO (Sons of Anarchy Motorcycle Club Redwood Original) n’est pas la mafia du New-Jersey. Les blousons de cuir ornés d’une « faucheuse » remplacent les costumes de luxe, les tatouages exubérants, crânes rasés ou coupes hirsutes donnent une tout autre allure aux personnages, et les règlements de compte sont loin d’être discrets. Sons of Anarchy est une série sur-vitaminée, à l’intérieur de laquelle des intrigues multiples s’entremêlent en permanence et se résolvent à une cadence infernale. La pression ne se relâche jamais sur le spectateur, comme elle ne se relâche jamais sur les protagonistes de l’histoire, aspirés en permanence dans une spirale de violence, au sein de laquelle ils tentent désespérément de se raccrocher aux règles du MC (Motorcycle Club), cette utopie à laquelle ils tiennent plus qu’à leur propre vie.

 

THE BIG BANG THEORY (huitième saison en cours)

Sitcom avec rires du public en fond sonore, cette série avait a priori tout pour me rebuter. Mais une fois embarqué avec cette bande de geeks au QI surdimensionné, pourtant désespérément puérils, monstrueusement complexés et extraordinairement imbus d’eux-mêmes, impossible de les lâcher ! A noter que les rires que j’ai évoqués ne sont pas enregistrés et plaqués sur la bande-son, mais qu’il s’agit des rires d’une salle pliée en deux assistant vraiment au tournage comme au théâtre. Le Docteur Sheldon Cooper (formidablement incarné par Jim Parsons), physicien génial abominablement prétentieux, anorexique sexuel, maniaque et obsédé par les trains et les conventions Star-Trek, domine de sa silhouette dégingandée la galerie de personnages de The Big Bang Theory, tous plus hilarants les uns que les autres, et dont le plus original, une mère juive caricaturale, accomplit la performance d’être particulièrement envahissant tout en étant en permanence réduit à une voix (on ne voit jamais l’actrice, on l’entend seulement). S’il est fortement conseillé de regarder toutes les séries en VO, c’est absolument indispensable pour The Big Bang Theory. L’effroyable doublage français transforme la série comique la plus drôle que je connaisse en brouet insipide.

 

SUPERNATURAL (dixième saison en cours)

Pour ceux qui pratiquent ou ont pratiqué les jeux de rôles, il est possible que cette série vous rappelle quelque chose. Les frères Winchester commencent la première saison en traquant ici un Wendigo, là un fantôme. Peu à peu, ils se trouvent impliqués dans des quêtes bien plus ardues, impliquant des conflits entre anges et démons (progression classique d’un personnage de jeux de rôles). Je dois avouer que j’ai hésité longtemps pour choisir la dixième et ultime série de ce palmarès. Supernatural a pour handicap d’en être arrivé à sa dixième saison. C’est un gage de succès commercial, mais le bon équilibre pour une série réussie se situe en général autour de 5 ou 6 saisons. Au-delà, il devient très difficile de se renouveler. Pourtant, il m’a paru impossible de ne pas sélectionner cette série addictive et très bien construite. Et pour un écrivain de SFF, ne choisir que Game of Thrones pour représenter le triptyque SF-Fantastique-Fantasy était plutôt gênant. Il n’en reste pas moins que porter à l’écran n’importe lequel de ces trois genres est bien plus difficile que créer une série policière ou une sitcom. La réussite de Supernatural méritait donc amplement d’être saluée. Une fois accroché par l’intrigue, le spectateur suit avec plaisir les pérégrinations de Sam et Dean dont le job de chasseurs de créatures surnaturelles offre des garanties en matière de scènes spectaculaires. Jared Padalecki et Jensen Ackles assurent parfaitement dans le rôle des frères Winchester, tout en se faisant un peu voler la vedette par Misha Collins, incroyable en ange au look d’inspecteur Colombo.     

Partager cet article
Repost0
6 novembre 2014 4 06 /11 /novembre /2014 13:14

Peut-être avez-vous déjà vu une représentation de l’Homonculus de Penfield. Il s’agit d’un être dont chaque partie du corps possède une taille proportionnelle à l’importance qui lui est donnée par le cerveau humain. Le résultat est une sorte d’horrible gnome, au tronc rachitique, aux membres ridiculement grêles, affublé d’une tête énorme aux lèvres et à la langue disproportionnées, et doté de mains gigantesques. On est loin de l’Homme de Vitruve, l’individu aux proportions parfaites dessiné par Léonard de Vinci.

Imaginez que les événements se produisant au sein d’une société soient le corps humain, et l’information fournie par les media à propos de ces événements une représentation graphique de ce corps. A quoi ressemblerait cette image ? Mon opinion est qu’elle serait très loin de l’Homme de Vitruve, et très proche de l’Homonculus de Penfield ; probablement encore plus caricaturale et grotesque que l’Homonculus de Penfield.

Deux phénomènes couverts récemment par les media illustrent cette idée. Tout d’abord la menace du virus Ebola. Il y a quelques années, télévisions, radios et presse écrite semblaient s’ingénier à vouloir nous faire croire que la grippe aviaire était sur le point d’exterminer l’Humanité. Sauf que quelques dizaines de morts dans un bassin asiatique de trois milliards d’individus, et un mode de contamination qui implique l’inhalation de particules issues des fientes de volailles, ça ne peut pas, pour quiconque possède la moindre notion d’épidémiologie, représenter des signaux d’alertes sérieux. Las, un malheureux vétérinaire hollandais travaillant pour des élevages industriels de volailles avait contracté la maladie ! L’épidémie était à nos portes ! Malgré cet unique cas en Occident, dû à des conditions de travail très particulières, l’affolement médiatique se poursuivait. Le seul journaliste à traiter sérieusement l’affaire fut Jean-Daniel Flaysakier. Il faut dire qu’il est également médecin, oncologue, et titulaire d’un master d’épidémiologie de l’Université de Harvard ; autant dire que, lui, savait de quoi il parlait. Mais aucun de ses confrères et consœurs (journalistes, pas médecins), ne suivit son exemple. Aujourd’hui les media remettent le couvert avec Ebola ; un virus effrayant, à cause de sa forte mortalité. Donc un bon sujet. Un bon sujet pour la fiction, certes. On peut citer le roman Virus de Robin Cook, certains épisodes des séries télé Sevens Days ou 24 h Chrono, ou même le film 28 days later pour lequel Danny Boyle a déclaré s’être inspiré du virus Ebola. La liste est loin d’être exhaustive. Le problème est que les media semblent chercher leur inspiration dans la fiction, et que l’action des autorités semble s’appuyer sur le phénomène médiatique. Pourquoi une flambée d’activité d’un virus qui sévit depuis quarante ans en Afrique du centre et de l’Ouest est-elle en train de créer une psychose de pandémie ? Cette année, Ebola aurait tué un peu moins de trois mille personnes (en Afrique exclusivement) Prenons au hasard une autre maladie qui sévit sur le même continent, le paludisme. Les données disponibles varient de 650 000 à 1,2 millions de morts dans le monde, dont 80% en Afrique, soit 520 000 à 960 000 morts en Afrique. 200 à 300 fois plus de morts. Qui parle du Paludisme ? Pourquoi ne parle-t-on pas d’une maladie des centaines de fois plus destructrice qu’Ebola, et ceci uniquement pour l’année écoulée ? Pour les quarante dernières années, le déséquilibre est bien plus grand. Je ne suis pas en train de dire que le virus Ebola doit être négligé, ou méprisé. Je m’interroge seulement sur la disproportion du traitement médiatique par rapport à la réalité. Tout se passe comme si le virus Ebola pouvait être intégré dans un scénario catastrophiste, un truc qui s’insère bien dans un imaginaire collectif nourrit de grandes peurs mêlant des pandémies exterminatrices et des terroristes manipulateurs de virus. Tout se passe comme si les media ne faisaient plus de l’information, mais une sorte de fiction vaguement adossée à la réalité. Le drame des maladies, en général, sur le continent africain, est un drame de la pauvreté, de l’absence de couverture médicale, un terrain qui autorise chaque virus, chaque bactérie, chaque parasite, à frapper les populations bien plus durement que dans nos pays riches.

Moins tragique est le phénomène des « clowns maléfiques ». La filiation avec la fiction (It, de Stephen King, par exemple) est ici bien plus évidente. Avec ces clowns, l’Homonculus de Penfield est véritablement grotesque et ridicule. Que quelques ados s’amusant à faire peur avec un nez rouge et des haches en plastique puissent engendrer une déferlante médiatique nourrissant la psychose et influant l’action des autorités (« Si vous repérez un clown, surtout faites le 17 et ne tentez rien par vous-mêmes ! ») est proprement sidérant. Quant aux rarissimes vraies agressions perpétrées par des déséquilibrés déguisés en clowns, on se demande pour quel motif elles seraient plus graves, plus inquiétantes, plus alarmantes, que des agressions commises par des types encagoulés, avec un casque de moto ou à visage découvert. Ce qui est triste, dans cette clownerie, c’est que le traitement médiatique ahurissant de l’affaire génère un emballement sur les réseaux sociaux, suscite des vocations clownesques (filmées et diffusées sur le net de préférence) qui elles-mêmes pourront nourrir le phénomène.

L’Homonculus de Penfield médiatique est devant nous, avec ses gigantesques mains qui peuvent broyer l’Humanité en un rien de temps (le virus Ebola) et qui nous tire sa langue monstrueuse (les clowns maléfiques) pour nous faire peur. Si vous vous intéressez à la réalité des menaces qui planent sur le monde, et pas aux épouvantails brandis par les media, lisez des sources sérieuses. Un travail de la NASA, par exemple. La NASA ? Encore un truc de satellite fou qui va percuter la Terre ! Et non. Ce serait bien pour nourrir l’Homonculus de Penfield médiatique, mais il ne s’agit pas de cela. La NASA s’est servi des prodigieuses capacités de calcul à sa disposition pour déterminer quelles sont les menaces les plus inquiétantes pour l’Humanité dans un avenir proche. Il y en a deux. Ni Ebola, ni les clowns agressifs. Il s’agit du réchauffement climatique (essentiellement pour les phénomènes migratoires gigantesques qu’il risque d’engendrer) et du creusement vertigineux des inégalités sociales. Des sujets dont on n’entend guère parler. Tant qu’on a peur de se faire attaquer par Bozo au coin d’une rue, on ne pense pas aux îlots de milliardaires qui se multiplient au sein d’un océan de misère toujours plus sombre.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Jean-Christophe Chaumette
  • : Un endroit où faire connaissance avec mes romans
  • Contact

Recherche

Liens